Entretient : Baptiste Brun du CrAB Loren artiste
Baptiste Brun: Comment et pourquoi as tu crée la Rage ?
Loren : Je suis arrivé à Lyon, avec un passé associatif puisque j’avais monté des festivals de musique et des expositions de manière très régulière. Quand je suis arrivé à Lyon, je me suis occupé un peu plus de trouver un atelier pour moi mais, tout de suite, il a été naturel d’avoir un lieu pour présenter d’autres artistes de la même mouvance. La galerie La Rage a donc présentée au début des amis peintres et puis, petit à petit, une programmation « réelle » s’est mise en place.
Baptiste Brun: A côté de ça, outre le travail en lien avec l’exposition de travaux d’artistes, tu as développé une forme de synergie avec le quartier Guillotière. Notamment pendant 6 ans, tu as mis en place pour la fête de la lumière, des projets avec différentes personnes. Quel était l’objectif de tout ça ?
Loren : Le premier objectif, c’est que je suis une espèce de vampire. J’ai besoin du contact social, avec les gens les vrais. Je ne suis pas un peintre d’atelier qui travaille la technique, pour me nourrir j’ai besoin des autres. Très naturellement, j’ai commencé à tourner la galerie vers son extérieur, son environnement. D’aller chercher des projets. Au début, c’était des petits projets puisqu’il a fallu se faire un peu connaître. Je ne suis pas le genre à arriver et « bonjour c’est moi et on s’installe ». Il a fallut mettre les gens en confiance arriver doucement, et puis moi ça me va bien de m’appuyer sur des amitiés. J’aime bien emmener les gens de plus en plus loin et de leur dire petit à petit « on va faire ça, puis faire ça ». C’est une montée en puissance très naturelle. Le premier projet qui a vraiment eu lieu en direction des gens s’appelait « Le Fil », ça traduisait déjà cette volonté puisque c’était un fil qu’on avait accroché d’une fenêtre à une autre. Dessus, on avait fait pleins de trucs avec les enfants des écoles. J’allais frapper chez les gens et je leur disais « Je peux accrocher quelque chose chez vous, il vient de la fenêtre d’en face ».. Une fois qu’on l’avait accroché là, on allait sonner chez la personne d’en face. C’est imagé parce qu’on avait quand même identifié quelques personnes à qui j’avais demandé en amont mais il a fallu, comme ça, qu’on aille frapper. Un jour, il y a gars qu’est venu et qu’a dit « Pourquoi il y a rien d’accrocher à ma fenêtre ? L’an prochain, je veux avoir …. » Du coup, ça s’est embranché tout de suite et puis, petit à petit, les projets sont montés en puissance… Au début, l’idée était d’aller chez les gens et d’accrocher à partir de leur fenêtre. Fête des lumières nécessite de la lumière, donc de prendre leur électricité, on branchait chez eux une ampoule de 75 Watt. Que les gens devaient brancher eux-mêmes. L’idée était de se faire un truc ensemble mais aussi de se réapproprier la fête des lumières. Ça a très bien marché. Au bout d’un moment, c’est devenu compliqué parce qu’en 3 jours, il fallait qu’on occupe 75 fenêtres, une trentaine d’appartement, sur un espace géographique très long. il fallait courir dans tous les sens. Donc je me suis dit on va maintenant ramener tout, construire autre chose et revenir sur un lieu central, qui est devant la galerie. Là, en bloquant la rue, ce qui est assez facile à faire techniquement puisque ce n’est pas une rue qu’à une nécessité de passage absolue. Chacun ramenait sa pierre à cet endroit là.
BB: Juste, je reviens sur ce que tu viens de dire : « se réapproprier la fête de la lumière » ?
Loren : La fête de la lumière, ça correspond au solstice d’hivers au retour de la lumières après les jours les plus courts. Il ya des fêtes païennes, juives, chrétiennes (la naissance du christ). Les lyonnais remerciaient la vierge de pas avoir eu la peste en mettant des petits luminions à leur fenêtre. C’est vraiment la tradition lyonnaise. Avec le temps ça s’est un peu dissout, sauf pour les catholiques. La ville de Lyon a transformé cette histoire en une énorme foire de la lumière. La ville se transforme pendant 4 jours en grande monstration avec des gros projets en centre ville, des gros spectacles qui attire des million de visiteurs. A coté il ya donc une volonté de la ville de revenir un peu dans les quartiers avec la participation des habitants. Pour beaucoup de projets, ça restent un peu dans le discours alors que nous, on a collé vraiment au plus proche du discours de la ville. On s’est trouvé en porte à faux puisque du coup, travailler avec les habitants, ce n’est pas leur amener un projet tout fait. Mon but, ce n’est pas d’arriver et de leur dire « voilà vous allez coller des petites bandes de plastiques d’1 cm et puis vous vous allez mettre un trait rouge là ». Non, mon but c’était vraiment d’amener l’idée, un projet et le travailler, le transformer, l’adapter avec eux. Du coup, la ville était très embêtée avec mes projets, puisque l’on ne sait pas exactement où on va. Et d’un autre coté , nous ,il a fallu qu’on se professionnalise aussi, qu’on arrive à jongler avec les contraintes, de sécurité par exemple de la ville.
BB : Du fait que La Rage, elle s’inscrive dans le quartier, ça influe sur ce travail ?
Loren : Oui, le quartier de la Guillotière influe. J’ai fait un grand travail de recherche sur ce quartier de la Guillotière. Quand on parle de la Guillotière aux gens de Lyon, qui d’ailleurs ne sont pas de Lyon, ils sont tous arrivés à la Guillotière. C’est un lieu d’accueil. Quand j’en parle aussi avec un musicien italien, il me dit : « moi, mes parents sont arrivés à la Guillotière ». Les Italiens sont arrivés à la Guillotière, mais ils sont arrivés avant les Arméniens, qui eux sont arrivés avant le Maghreb. Actuellement, ce sont les roms qui arrivent. C’est un quartier d’accueil où tout le monde arrive. Les Auvergnats ont du arriver, les Savoyards. Quand on parle de Lyon Rebel, on parle des canuts, du quartier de la Croix-Rousse qui garde, dans les esprits, l’idée de la revendication sociale Les révoltes des canuts étaient très corporatives leur mot d’ordre était « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ! ».Ils n’ avaient pas une vision de changer le monde. La premiere fois où ça a changé pour modifier le monde, c’est pendant la commune de paris (1871). À Lyon Il y avait Bakounine. Il a prit la mairie centrale le 28 septembre 1870 et il s’est fait renversé par les milices bourgeoises et les milices des canuts qui ne voulait pas d’une révolution sociale. Le fief de Bakounine était la Guillotière, c’est de la où on s’est imprimé des livres. Quand en 1871, au 1er mai, il ya eu un soulèvement pour empêcher les élections qui devaient donner le pouvoir à Thiers, il y a eu ici au bout de la rue une barricade avec 13 morts (dont des gens de la Croix-rousse). Les gens qui avaient une vision sociale de changer le monde, qui était vraiment militant, avaient rejoint la Guillotière. Ce quartier n’a plus cette image, on l’oublie. On garde plus cette image de cette terre d’arrivée avec les gens debout, la place avec tous les vieux arabes qui sont là à discuter, les roms qui font leur marché. Pourtant, ce quartier a toujours eu cette volonté de changer le monde. Les gens viennent là pour vivre.
BB : Tu me parles de la Guillotière, de changer le monde, le travail en synergie avec le quartier, c’est aussi une forme de stimulus pour les gens du quartier ? Tu sens quelque chose qui se joue au travers de ce travail en lien avec les différentes populations du quartier ?
Loren: Il se tisse un lien d’amitié, de sympathie. Au déménagement de l’un, de l’autre, on retrouve tous ces gens-là. Egalement par exemple, on vient d’avoir un atelier logement à équiper les gens du quartier ont dit « il y a pas de problèmes, tu as besoin de quoi ? ». On organise la Biennale hors Norme (BHN), les habitants du quartier, qui s’approprient aussi cet autre projet. en hébergeant des artistes, une trentaine d’artistes sont logés chez eux suite a un appel « adoptez un artiste » en aidant au montage aux reps à l’accueil, …. Je ne pense pas être la source de ça, les gens sont prêts à avoir une vie de quartier ainsi Il y a de l’entraide, sur les récupérations des enfants avec les nounous, avec les parents. Le fait d’avoir emmené cette dimension de culture, de faire quelque chose ensemble vraiment un peu gros, qui marque les esprits a été un moyen de dire « Oui, vraiment, il se passe quelque chose ». C’est intéressant.
BB: Et, t’es peintre aussi ? C’est une part importante de ta vie. Est-ce qu’il y a une différence entre ce travail en synergie dans le quartier, avec les gens où les gens sont en création et toi aussi, et ton propre travail de peintre où tu produis, toi, dans un fait plus personnel même si la destination des autres oscille toujours. Il y a une différence ?
Loren : Oui. Je t’ai dit au début, je parlais de vampire. J’ai besoin des gens, de raconter quelque chose sur mes tableaux, de parler. J’ai longtemps parlé de l’actualité et à un moment, je me suis dit « J’arrête parce que ça m’énerve et sinon, je vais devenir très aigrie ». Je me suis dit parlons de la vie, de ce qui est vrai. Je me considère comme un peintre contemporain. Ce que je dis, c’est ce que j’essaie de vivre autour de moi. Pendant que j’ai un projet, par exemple la fête des lumières, c’est plusieurs mois de travail pratiquement intensif (1 mois et demi ou je ne touche pas un pinceau pour moi). Mais la création ce n’est pas que le moment où tu crées, c’est tout ce que t’accumules. Généralement, quand j’ai fini la fête des lumières, j’ai un gros moment de fatigue et derrière une grosse envie de peintre et il sort pleins de trucs. Là, on ne va pas faire la fête des lumières et je vais relancer d’autres projets dans le même style. Les gens me demandent, ils ont envie donc ils ont été d’accord pour que l’on ne l’organise pas cette année parce qu’on ne voulait pas cautionner la baisse de budget brutal que nous infligeait la ville et donc crée un projet bidon, petit, qui nous aurait pas ressemblé. Par contre, on va quand même faire des choses pour les enfants, ou autres, mais hors label fête des lumières. Du coup, ils sont très partants pour faire pendant une paire d’années, de monter une production de films. Pour l’instant, on n’a pas la vision finale de ce que ça va être, puisque j’ai juste lancé l’idée mais on est en train de tourner autour de ça. On voit bien qu’il y a une grosse envie de faire quelque chose ensemble, que ce soit la fête des lumières et d’avoir un retour de publics ou que ça soit juste faire quelque chose entre nous et d’avoir un produit fini, quelque chose qu’on projettera même si ça reste plus confidentielle puisqu’on aura pas les 10 000 visiteurs qu’on a eu pour la fête des lumières. Mais on s’en moque. Ça fait partie de la création que j’aime, on fait les choses pour créer, pour soi, pour le faire. La première idée c’est faire pas de montrer. Montrer c’est bien, mais ça vient après.
BB : Justement, et peut-être pour conclure, à la Rage et aussi dans le cadre de la BHN , tu travailles avec des artistes d’arts bruts ou avec des œuvres d’artistes d’arts bruts, à côté de ça, t’as un intérêt par exemple c’est après midi on va aller au Mac pour aller voir John Cage, c’est donc du contemporain pur et dure, tu bosses dans un quartier « populaire » donc « brut, populaire, contemporain, faîtes vos jeux ».
Loren : Toutes ces histoires de frontières, d’étiquette, c’est un peu compliqué. C’est vrai que ça sert de référence, ça permet à tout le monde de pas se perdre, mais je sais bien que je suis une vraie éponge, je me nourris de tout. La création contemporaine, elle existe, elle a l’avantage d’exister. C’est un langage des fois qui m’émeut, des fois qui ne m’émeut pas. Moi j’ai besoin d’être ému par la création. Que ça soit par le boulot qui est fait pas une maman du coin qui me dit qu’elle a jamais peint mais qui va prendre un crayon, un petit bout de peintures et puis qui va me faire une petite création. Ce n’est pas de l’art, mais cette création là, il y a de l’émotion qui passe, elle m’émeut. Si c’est John Cage, ou si c’est n’importe quel artiste contemporain, même eux peuvent m’émouvoir. Il y a des fois ça marche, après que ça soit sous une étiquette ou une autre, ça me dérange pas. Populaire, alors j’ai un grand père communiste et j’ai été élevé par un prêtre qui faisait de l’éducation populaire puisque c’était une association populaire sportive et culturelle. Populaire c’est un beau mot pour moi, c’est bien. Ca me rappelle quand un copain à mon père me parlait de ces compagnons de travail, c’était quelque chose qui l’illuminait. Camarade, compagnon, populaire ce sont des beaux mots. Il y a sur Lyon, Mr Gollnisch, qui nous ramène populaire à quelque chose qui me semble plus ordurier. Contemporain, Oui, ce n’est pas parce qu’on est populaire qu’on n’est pas contemporain. Brut, moi, ma définition, c’est la création pour soi ou pour une vision immense, globale. J’ai bien aimé cette idée d’intime, de secret. Ce n’est pas obligatoirement fait pour être montrer. Donc, Il y a beaucoup d’émotions généralement, ce n’est pas parce que c’est fait par des artistes brut que c’est émouvant. Parfois c’est tellement personnel que ça en devient impénétrable, comme des fois la création contemporaine. Je n’ai pas de réponse à votre question.